Voter (ou pas)

L’échéance du second tour de la présidentielle se rapprochant à grand pas, je souhaitais amener ma (petite) pierre personnelle au débat portant sur le fait de voter ou non dimanche, et le cas échéant, de voter blanc ou de voter contre le pen.

Je n’ai pas la prétention de détenir la vérité ni, a fortiori, de donner des leçons, mais je constate pour ma part que depuis ce funeste soir de 1er tour, mon avis a évolué (voire circonvolué) au gré des analyses de chacun (au bureau, sur twitter, sur facebook et dans l’intimité de mon chez-moi).

Si la mienne (d’analyse) peut permettre à d’aucun-e d’avancer dans sa propre réflexion, j’aurais en partie retransmis ce qui m’aura été confié, à savoir, un petit peu de raison.


On y va ? OK, let’s go.


Alors d’abord, des préalables.

  • Je suis un homme, j’ai une quarantaine d’année (un vieux pour certains, un jeunot pour d’autres), je suis hétérosexuel, je suis blanc : à ce titre, j’ai bien conscience de mes privilèges

  • J’ai un métier, je ne suis pas riche mais je suis loin de subir la misère : à ce titre aussi, je suis tout aussi conscient de mes privilèges

  • je vote selon mes convictions au premier tour de toutes les élections -à savoir l'extrême gauche- depuis que je suis en âge de voter : LCR puis NPA puis Mélenchon, pour finir cette fois-ci avec un vote FI (et je sais la distinction entre mouvement révolutionnaire et mouvement réformiste, mais comme là n’est pas le débat, je simplifie)

  • Je considère le 1er tour comme celui où l’on peut réellement exprimer sa conviction et j’ai toujours refusé le principe de vote utile, le considérant comme une manipulation des appareils historiques.

  • Le mouvement représenté par Mélenchon est le seul qui m’ait enthousiasmé depuis, pfiou, très longtemps : représentation du mouvement par le candidat (et non pas super-héros providentiel), rénovation des institutions, projet de retour du pouvoir au peuple, changement des règles ultra-maîtrisées par les politiques professionnel-le-s et les lobbies, fin de la monarchie cachée de la 5ème république et de sa cour  (j’abrège, c’est pour l’idée générale)

  • je ne me suis pas investi dans le mouvement FI (parce que l’expérience amène de la réserve) ; en toute honnêteté, je ne sais pas encore si je le regrette ou pas.

  • Avant le premier tour, j’ai défendu l’idée du vote FI lorsque l’occasion s’est présentée

  • Je ne suis pas “un insoumi”, mais j’use de mon esprit critique et de ma raison, et à ce titre, je ne me considère pas comme soumis.


Bien. Ceci étant posé (et en espérant avoir fait le tour d’éventuels sujets trollesques), je vais tacher de dérouler ma réflexion.


En 2012, j’ai voté PS au second tour en étant certain qu’ils valaient malgré tout mieux que l’UMP, et, si je ne peux qu’applaudir des deux mains le mariage pour tous, la loi El Khomri, le 49.3 et la répression inadmissible qui a répondu aux manifestations qui s’en sont suivies ont signé l’arrêt de mort de mon principe d’un vote “le plus à gauche pour un second tour” (ou plutôt, “le moins pire”) qui a donc rendu l’âme dans un râle d’agonie amer.


Il y a environ un an, donc, j’étais certain que je ne voterai pas au second tour de la présidentielle : la droite ou la “gauche”, c’est bon, ils avaient cessé de me prendre pour une buse.

L’hypothèse même d’un barrage au FN m’était insupportable.

Notez bien qu’il s’agissait d’un bouleversement de mon paradigme : après avoir usé du droit de vote à chaque élection, alors que depuis plus de 20 ans (voire plus : l’éducation, ça compte) il était érigé comme devoir, j’allais ne pas voter.


Est arrivée l’élection. Comme beaucoup, j’ai voté Mélenchon avec la conscience que là, il y avait moyen que la vraie gauche soit au second tour. Finalement, peut-être allais-je pouvoir voter puisque pour la première fois, un mouvement représentant mes idées était au second tour.


Comme le juge de la chanson, la suite me prouva que non, et bien que je ne sois pas allé jusqu’à crier “maman” et pleurer beaucoup (après tout, comme tant d’autres, je l’avais déjà subi en 2002), la douleur n’en fut pas moins vive (et finalement, pour les mêmes raisons que le juge).

Ben ouais, d’un côté le FN (qu’on ne présente plus) et de l’autre, celui que j’avais catalogué comme le candidat du lobby financier (on est d’accord, c’est ce qu’il est, non ?).

Quel choix pour le 7 mai ? la porte ouverte à la haine, au rejet de l’autre et à l’oppression, ou la porte ouverte à l’exploitation, au creusement des inégalités et toute la sanie attenante ?


Depuis une semaine et demi, la déception est intense et amère. Mon premier réflexe a été de me dire “bon ben je ne vote pas au 2nd tour”.


Et puis … et puis j’ai lu les arguments des uns et des autres.

Pas les injonctions, de quelque bord que ce soit, mais les questionnements, les vacillements de certitudes, les réflexes républicains, les colères citoyennes, les déceptions aussi, de ceux qui comme moi s’étaient autorisés à croire le changement possible (parce que, enfin, avec FI, c’était ça la promesse : un bouleversement des règles, une remise à plat du jeu, une redistribution des cartes avec un avantage pour le peuple).


Et une fois la colère retombée, une fois les deux hypothèses posées, il m’a bien fallu me rendre à l’évidence. Me concernant, ne pas voter contre le pen, c’était ne pas m’opposer au FN et c’était participer, le cas échéant, à son élection.

Mais d’un autre côté, que mon vote serve à légitimer, une fois de plus, tout ce que j’abhorre dans notre société de consommation, restait intolérable.


Pourtant, dimanche, j’irai voter contre le FN en mettant un bulletin macron dans l’urne.


Et là, j’espère être le plus clair possible : il ne s’agit pas d’un réflexe républicain.

Il ne s’agit pas non plus d’un réflexe d’ado des années 80 biberonné aux Bérus.

Il ne s’agit même pas d’un réflexe de peur.


Il s’agit du pari que représente le dilemme, qui peut s'énoncer comme suit : “je parie que je peux ne pas voter contre le FN car il ne passera pas au second tour”


Et pour savoir si on parie ou pas, quelques questions sont à se poser.

D’abord, évaluer la prise de risque.

  • Est-ce que le fait que le FN soit au pouvoir m’importe ou pas ? la réponse est oui, et plus précisément : JE. NE. VEUX. PAS . DU. FN. AU. POUVOIR.

  • Est-ce que je suis sûr que le FN ne passera pas le second tour ? NON.

  • Si le FN sort vainqueur, suis-je certain qu’il peut-être combattu aux législatives ? NON


Bon, déjà, ça se présente mal. Je ne parie que quand je suis sûr de gagner (j’ai été très bien élevé).


Mais bon, admettons. C’est quoi la mise de ce pari ? Quel en est l’enjeu ?


Et bien, de manière surprenante, je ne risque rien de personnel dans ce pari : comme je l’ai dit, je suis un homme, blanc, hétérosexuel, la quarantaine, qui travaille.

Si le FN passe (ou fait un score haut), je ne risque rien.


Par contre, les potes de couleur de mes enfants, la personne transgenre avec qui j’ai discuté l’année dernière, ma fille, mes voisins qui ont des origines maghrébines, mes deux nièces métis, cette dame mariée à son amie il y a deux ans, les potes homos des réseaux sociaux, si le FN passe (ou fait un score haut), toutes ces personnes vont subir, immédiatement, les conséquences d’un fascisme qui avance masqué depuis 10 ans et qui a endormi tout le monde, y compris celles et ceux qui devraient avoir un réflexe républicain.


Ces personnes que je connais, que je côtoie quotidiennement ou presque, ils le subiront immédiatement parce que les haineux décomplexés que l’on trouve sur internet auront toute latitude pour se lâcher IRL, dans la vraie vie.


Est-ce que je me sens capable de miser la vie des autres sur un pari ? Non, clairement. C’est moralement insupportable.


Il y a encore deux mois, je me disais que si le FN arrivait au pouvoir, au moins, on saurait contre qui se battre. Mais c’est un argument creux, qui ne repose sur rien et qui oublie qu’à la minute où un parti fasciste arrivera au pouvoir, il modifiera les règles. Et surtout, c’est un argument très égoïste puisque je ne risque rien.


Alors, oui, je vais mettre un bulletin macron dans l’urne. Je ne vote pas pour lui, je vote contre le FN.


Parce que, sinon, je suis certain de ne pas pouvoir me supporter aux premières nouvelles de ratonnade, de passages à tabac de personnes transgenre, au premier décès d’une personne homosexuelle, à la fermeture des plannings familiaux (et j’en passe, soyez certains que j’en passe).


Alors, pour être bien clair, je parle pour moi, et je suis bien conscient que mon vote n’est pas l’élection.

Je suis aussi très au clair que je ne suis pas stratégique et qu’il y a beaucoup d’affects. Mais je m’appuie aussi sur mes valeurs (qui sont personnelles, hein, je ne les prétends pas universelles)


Peut-être ma logorrhée aura permis à d’autres d’avancer dans leur réflexion, peut-être pas, mais en tout état de cause, même à deux jours du scrutin, c’était important pour moi de partager ça, alors que je vois tellement de monde qui milite pour l’abstention ou le vote blanc.


Mais au bout du compte, dans l’isoloir, c’est vous qui décidez, et ça aussi, c’est bien.


KannTo


P.S :

Petite réflexion complémentaire : sur la totalité des personnes qui ont voté Mélenchon au premier tour, une minorité fait partie du mouvement “Les insoumis”. Une majorité d’électeurs a voté pour le programme et pour l’alternative représentée par Mélenchon.


J’espère que le pen sera battue, je compte là-dessus.

Je pense aussi que les 19.5% de FI, ce n’est pas rien et qu’il y a moyen d’en faire quelque chose aux législatives.

Ce serait plus que dommage que ce mouvement, qui est le plus vivifiant depuis 1981, ne puisse pas continuer.


Or, selon moi, c’est un risque très important qui aura été pris par les insoumis de renvoyer dos-à-dos le FN et macron.

(En l'occurrence, ils ne représentent PAS le même danger : il sera bien plus facile de combattre macron que les fascistes. Lorsque les manifestations rencontreront les cordons de CRS, soyez certains que les flics agiront différemment en fonction de qui sera au pouvoir. Je ne suis même pas ACAB (All Cop Are Bastards) en affirmant ça : c’est juste que c’est une institution qui obéit aux ordres)


FI et Mélenchon proposent un changement de règles et même de paradigme. Mais le mouvement a été battu au 1er tour. En attendant qu’il gagne enfin, ce sont les anciennes règles qui prévalent.

A ce titre, pour les sympathisants FI, l’opposition systématique au FN peut être une de ces règles.


L’appel à l’abstention ou au blanc a une logique que je comprends (je ne la partage pas, mais la logique s’entend).

Ce n’est pas le cas de tout le monde et l’absence d’un mouvement clair contre le FN choque beaucoup de monde (je connais au moins une personne dans mon entourage qui a voté FI au premier tour mais qui ne donnera plus sa voix au mouvement à cause de cette absence de prise de position).


Ma crainte principale est que ce pari (encore un) de certains insoumis n'entraîne un effondrement électoral du mouvement aux législatives.


Ce serait terrible, parce que là, macron, on en mangerait bien comme il faut, dans les grandes largeurs.


K.